Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Le Singe et le Léopard

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III

LE SINGE ET LE LÉOPARD

Le singe avec le léopard
Gagnaient de l’argent à la foire.
Ils affichaient chacun à part.
L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu. Le roi m’a voulu voir ;
Et si je meurs, il veut avoir
Un manchon de ma peau : tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,
Et vergetée, et mouchetée !
La bigarrure plaît : partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait ; bientôt chacun sortit.
Le singe de sa part disait : Venez, de grâce ;

Venez, messieurs : je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l’a sur soi seulement ;
Moi, je l’ai dans l’esprit. Votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,
Singe du pape en son vivant,
Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux[1], exprès pour vous parler ;
Car il parle, on l’entend : il sait danser, baller,
Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs :
Non, messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le singe avait raison. Ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît ; c’est dans l’esprit :
L’une fournit toujours des choses agréables ;
L’autre, en moins d’un moment, lasse les regardants.
Oh ! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
N’ont que l’habit pour tous talents !



  1. Locution proverbiale qui signifie : arriver en grand équipage.